Jeudi, 16 heure. Joyce sourit au dernier de ses élèves qui quitte l’école élémentaire d’Hope Mills avec son père, et retourne dans sa salle de classe. Une femme de ménage l’a déjà investie. Elle la salue et s’excuse par avance du travail supplémentaire qu’elle risque d’avoir le lendemain.

« C’est le dernier jour de la semaine, je leur ai promis une après-midi peinture. Mais je resterai vous aider un peu. »
« C’est inutile Joyce, c’est pas un peu de peinture qui va me faire peur. »

L’institutrice rit doucement en ramassant les quelques affaires qui trainent sur son bureau. Elle les glisse dans un porte-document qu’elle range dans son grand sac à main - qui s’apparente plus à un fourre-tout qu’à un sac, d’ailleurs.

« J’insiste ! » fait-elle en quittant la salle pour ne pas lui laisser le temps de protester. « Bonne soirée, à demain Elsa. »

Et déjà elle n’est plus là. Elle s’arrête devant un miroir disposé dans le couloir. Plusieurs mèches avaient quitté son chignon et le crayon soulignant ses yeux avait coulé. Elle soupire en arrangeant rapidement le tout. Ca n’était pas plus étonnant que ça qu’elle soit seule, finalement. Peut-être devait-elle accorder un peu plus d’importance à son apparence, plutôt que de préconiser le naturel ? Elle lève les yeux au ciel à l'instant où cette idée lui passe par la tête : n’importe quoi.

Elle entre dans la salle des professeurs, où Andrew et le directeur rient de bon cœur.
La jeune blondinette leur adresse un sourire amical. Le premier est son collègue préféré, toujours adorable et à l’écoute, tandis que le second, son supérieur hiérarchique, n’a de cesse de la taquiner pour qu’elle accepte de sortir avec lui. Chose qu’elle ferait avec plaisir, si son corps, son cœur et son esprit n’étaient pas totalement obnubilés par Casey. A son plus grand désarroi.
Andrew quitte la pièce après avoir attrapé sa veste et salué les deux derniers rescapés de la journée de cours.

« Alors, Joyce, tu rentres ? » demande Jack, en se rapprochant d’elle.
L’institutrice enfile son gilet par-dessus le large marcel uni qu’elle porte, et son sourire s’agrandit : elle sait déjà ce qui l’attend avec lui.
« Nope, je vais faire un tour au Bones. » se contente-t-elle de répondre.

Sa meilleure amie tenant le bar, elle se doute qu’elle pourra passer un peu de temps avec elle, et, à défaut, elle y croisera forcément l’un des membres de son groupe d’amis. Le bar, appartenant à la famille Evans, est devenu le quartier général de la bande depuis le lycée, et il n’est pas rare qu’Aidan, Josh et Joyce y rejoignent Charly après le boulot. Noam et Jessie, depuis leur retour à Hope Mills, avaient rapidement reprit cette habitude aussi ; Casey était le seul à encore manquer à l’appel. Et chaque fois que le sujet revient sur le tapis, Joy’ prétexte une soudaine soif pour aller commander quelque chose au bar. Si bien que ses sentiments étaient de plus en plus évidents aux yeux de ses amis, et ce même si seuls Noam et Charly en connaissent la véritable profondeur.

« Voir Charly ? » tente-t-il, pour tâter le terrain. La renommée des Evans et de leur piano-bar n’est plus à faire dans la petite ville qu’est Hope Mills.
« Non, je vais voir l’un de mes nombreux amants » ironise Joyce, pas dupe du tout.

Il lui offre pour seule réponse un sourire énigmatique qui la fait rougir. Elle n’a pas, ou plus, l’habitude d’être regardée de cette façon, comme une femme désirable, à part entière. Ses seuls contacts avec la gent masculine se résument à ses relations fraternelles avec ses meilleurs amis, à son père et ses deux petits frères, et à ses collègues de bureau. Elle n’a pas fréquenté d’homme depuis un moment, et bien que cela lui manque parfois, c’est un choix qu’elle a fait d'elle-même. Suite à sa dernière relation qui a mal tourné (elle ne cessait de comparer son petit-ami à Casey), elle s’est résolue à abandonner tout cela, jusqu’à ce qu’elle ait totalement tiré un trait sur son amour de jeunesse.

« Et toi, tu y vas ? Ou tu fais encore des heures sup ? »
« Je vais terminer quelques papiers que je dois signer pour les envoyer à la première heure demain matin. Mais je te rejoindrai peut-être plus tard dans la soirée, alors. »

Elle lève les yeux au ciel, ce qui, comme toujours, l’amuse beaucoup. Il lui fait un clin d’œil, et retourne dans son bureau alors qu’elle quitte l’école pour retrouver sa voiture sur le parking.
A peine cinq minutes plus tard, elle se gare à sa place habituelle devant le Bones.

« Tu sais Tyler, je continue à penser que Charly devrait nous faire faire un panneau vip, sur le parking. Tu sais, une place avec nos noms, comme pour les médecins devant les hôpitaux ? » blague-t-elle en poussant la porte vitrée du bar, avant de saluer le serveur.
Il rit brièvement avant de lui demander : « Tu prends quoi ? Comme d’habitude ? »

Elle hoche la tête alors qu’il lui prépare un Mojito. Le suivant des yeux dans sa préparation, elle cherche Charly du regard dans la salle. Celle-ci n’y est pas. Soit elle est à l'étage, dans le bureau, à faire de la paperasse, soit elle ne bosse pas.
Elle remercie Tyler qui lui tend son verre et se dirige vers la table habituelle qu’elle partage avec ses amis. Une table qui en vu de toutes les couleurs. Elle reconnaît Josh qui y est installé, dos à elle. Elle sourit, soulagée de savoir qu’elle n’aura pas à attendre seule.

Seulement, elle ne tarde pas à réaliser que ce n’est pas Walker, assis à la table. Elle manque de se renverser le verre dessus en s’arrêtant brusquement. Son cœur se met à cogner plus fort dans sa poitrine et son estomac se serre. Elle regarde par-dessus son épaule, Tyler l’observe, et hausse les épaules à sa question silencieuse. Lui non plus ne sait pas ce que Caz’ fait là. Elle s’apprête à faire demi-tour, à prendre ses jambes à son coup. Elle n’est pas prête à le revoir. Seulement, le jeune étudiant en droit tourne la tête dans sa direction. Il l’a vue. Elle jure intérieurement, ça lui apprendra à venir au Bones sans appeler.

Elle refoule toutes les émotions contradictoires qui émanent en elle. Colère, tendresse, tristesse, déception, excitation, et amour laissent place à un visage neutre, sur lequel elle colle un sourire forcé, en se glissant sur le canapé de cuir rouge tout abimé, face à Casey.

Bordel de Dieu, elle aurait tout donné pour avoir invité Jack avec elle et ne pas devoir se retrouver seule face à lui. C’est trop tôt, elle ne s’y est pas préparé.

« Tiens donc. Casey… » finit-elle par lâcher pour ne pas qu’un silence gênant s’installe, tout en choisissant méticuleusement ses mots. « Pour une surprise ! Qu’est-ce que tu fais là ? »

Elle est affreusement calme, et Caz’ le sait, ce n’est pas dans ses habitudes de parler avec tant de retenue, surtout à lui. D’un autre côté, il ne pouvait pas franchement s’attendre à mieux, après des semaines de silence radio...

Cette année m’avait encore plus lessivé que l’année dernière. J’étais sur qu’au fil des mois, mes cernes s’approfondissaient et que je devais désormais ressembler à un zombie. C’est donc avec une joie immense que je quittai ce dernier cours de cette dernière année. J’avais jusqu’à présent réussi mes examens d’hiver et tous mes stages jusqu’à maintenant. Il ne me restait donc plus que l’examen final qui aura lieu dans une semaine et trois jours pour être exact. Mais ne croyez pas que c’est parce que je suis soulagé que je vais m’arrêter là. Que du contraire, c’est la dernière ligne droite qui m’attend, il ne me reste plus que dix jours à travailler avant d’être libre pour de bon. Pendant ces dix derniers jours, j’allais donc m’enfermer chez moi et réétudier ces milliers de pages que je connaissais déjà. En sortant de la classe en gradins, je poussai un long soupir, passai une dernière fois par mon casier pour récupérer tous mes cours, et en profitai pour rallumer mon portable. Un message s’afficha alors : Alors Ainsworth, enfin fini ? Si tu as le temps passe au Bones pour boire un verre ! Bisous . CHARLY

Il me fallut quand même un petit temps de réflexion avant de me décider. Je pouvais bien m’octroyer une dernière pose avant tout ça, avant de ne même plus pouvoir sortir la tête de l’eau. Charly était l’une des seules à accepter le fait que je m’investisse autant dans mes études et par mon plus grand bonheur, elle évitait d’aborder les sujets qui blessent. A vrai dire, il s’agit d’un sujet en particulier : Joyce. Ce n’était pas que je ne pouvais pas entendre parler d’elle, mais simplement que quand on le faisait, mon cœur se nouait dans tous les sens et je culpabilisais encore plus. Joyce, c’est la fille dont je suis tombé amoureux alors que je n’étais encore qu’au lycée, donc autrement dit vers seize ans. Donc si on fait le compte, c’est celle qui détient mon cœur depuis huit ans. Huit longues années passées sous silence. Oh ce n’est pas que je n’ai jamais essayé, mais quand je l’ai fait, le moment était très mal choisi, alors je m’étais ravisé pour ne plus jamais en reparler. Je sais qu’elle m’aime. Du moins elle m’aimait, il y a deux ans, je crois. Depuis, elle doit m’en vouloir à mort de l’avoir laissée en plan de la sorte. Et de ce côté-là, je ne peux m’en vouloir qu’à moi-même. Je l’ai laissée de côté pour me concentrer sur mes études. Le pire, c’est que c’est celle que j’ai le plus repoussé du groupe, et même de mes amis en général. Pourquoi ? Et bien simplement parce que c’était la seule capable de me perturber, la seule qui aurait pu m’arrêter de faire tout ça. Je suis obnubilé par elle, et c’est pire de jours en jours. Il ne se passe pas une seule journée sans que je ne pense à elle. Déjà rien que notre photo posée sur ma table de chevet me rappelle son existence chaque matin. Et quand je la croise, c’est encore pire, car il y a toujours cette alarme qui se déclenche en moi et qui me crie de fuir, ce que je fais à chaque fois. Nos longues soirées passées à deux à parler de tout et de rien ont cessées d’exister depuis longtemps, et je me surprends souvent à me remémorer ces moments uniques et intenses. Tout me manque chez elle ! Sa voix, son odeur, son sourire, ses manies, sa fausse mine boudeuse, cette manière qu’elle a à toujours se hisser sur la pointe des pieds simplement pour m’embrasser en me disant bonjour, ses yeux dans lesquels j’aime me perdre, elle tout simplement. Ce tout qui fait d’elle mon être parfait, mon soleil, mon centre d’attraction. Si on me le demandait, je parlerais d’elle de la sorte pendant des heures et des heures, à un tel point qu’on ne pourrait plus m’arrêter de parler. Je parlerais de ce qui me plait, mais aussi de ce qui ne me plait pas. Car si je l’aime, c’est entièrement, et pas seulement pour les bons moments. C’est une voix familière qui me sortit de mes pensées « Hey Caz’ ! Tu viens avec nous boire un verre au port ? On y va tous ! Et je dois avouer que ça me ferait très plaisir que tu viennes avec pour une fois. ». Cette fille n’était autre qu’une amie de classe avec qui je m’entendais très bien, et qui désespérais à chaque fois que je déclinais à l’une de ses invitations. Et comme toujours, je n’allais pas démordre à la règle. « Désolé mais je vais déjà voir une amie. Une prochaine fois peut-être … » lui répondis-je en haussant les épaules et en m’apprêtant à partir. « Tu dis toujours ça Ainsworth ! » tenta-t-elle comme ultime appel. Je la regardai une dernière fois l’air désolé, avant de lui tourner le dos et de m’en aller vers le parking.

Une dizaine de minutes plus tard, je cherchais une place où garer mon Audi R8. Décidément, même sur le parking du café, c’était pas facile à trouver. Finalement, j’en trouvai une et entrai enfin dans le café. A peine eus-je passé la porte que Charly quitta son comptoir pour me sauter au coup. Nous restâmes là à parler à notre place habituelle, celle de tout le groupe, pendant une bonne heure, avant que son téléphone ne sonne. Apparemment, il s’agissait de quelque chose d’urgent alors je ne lui posai pas de question et la laissai filer. Elle s’excusa mille fois, et je dus même la pousser dehors. J’avais alors dans l’optique de terminer mon verre et de retourner chez moi pour me remettre à mes études mais les circonstances des choses en voulaient autrement. Alors que j’en étais à ma dernière gorgée, je ressentis une présence derrière moi. Par pur réflexe, je tournai la tête et c’est là que je l’aperçus, Joyce en personne, cette fille que j’espérais ne pas croiser chaque jour que je sortais de chez moi. Mais j’aurais du le prévoir. En venant ici, j’allais forcément tomber sur l’une des personnes du groupe. Mais pourquoi avait-il fallu que ce soit elle ? Alors que j’avale difficilement le contenu de mon verre, je cherche quelque chose à dire, mais je serais incapable de sortir un seul mot en ce moment. Elle s’assit alors face à moi. Je la regarde mais quand mon regard croise le sien, je le fuis, pas préparé à ça, du moins pas maintenant. « Tiens donc. Casey… » dit-elle alors. « Comme tu peux le voir … » réussis-je à sortir à mon tout. « Pour une surprise ! Qu’est-ce que tu fais là ? » enchaina-t-elle. Ça ! à qui le dit-elle ?! Rien que le son de sa voix me déstabilisait, et bien qu’elle essayait de le cacher, je voyais bien qu’elle aussi ça la gênait. Et je le comprenais parfaitement, moi qui faisais que de l’éviter. Que pouvais-je bien lui dire maintenant ? Que j’avais prévu de m’en aller et que je n’allais pas la déranger plus longtemps ? Parce que dans un sens, c’était exactement ce que je me préparais à faire. Mais je sentais que si cette fois je me défilais à nouveau, ce serait complètement fini. Je décidai alors de simplement répondre à sa question. « Charly m’a demandé de venir après mon dernier cours, alors je suis venu. » maigre mais pourtant vrai. Ne voulant pas qu’un certain malaise s’installe, je décidai de continuer sur ma lancée. « Et si tu es venue pour la voir, tu viens juste de la rater, elle a du partir pour une urgence. » J’allais à nouveau continuer sur du n’importe quoi et ces derniers temps, j’en avais moi-même assez de parler pour ne rien dire. J’allais bientôt en avoir fini avec ces études qui m’avaient privées de deux années de ma vie. Vie de jeunesse où j’étais censé profiter de tout. Bientôt, tout ça serait fini, alors autant essayer de préparer le terrain. « On n’est donc plus qu’à deux. Je t’offre un verre ? » dis-je avant de remarquer qu’elle en avait déjà un à la main « Enfin je veux dire … après celui-là. ».

La jeune femme soupira intérieurement, alors qu’elle tentait de ne pas trop réfléchir à la situation. Elle se savait poursuivie par la guigne depuis toujours, mais elle estimait vraiment ne pas mériter ça. Devoir se tenir face à Casey, tout en lui faisant croire que son absence ne lui avait pas brisé le cœur, que le silence qu’il lui imposait depuis presque deux ans n’était pas une torture de tous les instants, et qu’il ne lui avait pas terriblement manqué était insupportable. Elle avait l’impression de se mentir à elle-même.

Malgré tout ses efforts, elle ne pouvait cependant pas éviter de le regarder éternellement. Comme s’il lisait dans ses pensées, Caz’ fuyait son regard, ce qui, bien que démontrant la situation tendue entre les deux adultes, facilitait grandement la tâche de Joyce. Ainsi, elle eut tout le loisir de l’observer.
La jeune femme ne l’avait pas vu depuis plusieurs semaines, si ce n’est un mois, et il semblait vraiment fatigué. Charly lui avait rapporté, un jour où elle avait réussi à coincer Joyce, qu’il se consacrait entièrement à ses études. N’était-ce pas plutôt une petite-amie qui lui faisait passer des nuits blanches et lui prenait tout son temps ? Elle ne pouvait s’empêcher de penser à cela. Car Casey, au lycée, n’avait jamais été un grand fan des études. Lynn avait même du l’aider, lui donner des cours, pour qu’il puisse obtenir son diplôme haut la main. Joyce n’avait pas compris l’attitude de celui dont elle était amoureuse depuis tant d’années. Le pire ayant sans doute été qu’il ne daigne pas lui fournir une explication. Elle estimait mériter une ultime conversation d’adieu, ou quelque chose du genre, après tous les moments qu’ils avaient partagé. Mais non, rien, nada, niet.

Elle le scruta alors qu’il faisait tourner les dernières gouttes de boisson dans son verre. De lourds cernes soulignaient ses yeux bleus, qui avaient toujours fasciné Joyce. Sa mâchoire carrée était recouverte d’une petite barbe vieille de plusieurs jours, ce qui ne faisait qu’accentuer son côté viril. Ses larges épaules n’avaient pas changé, et son torse lui paraissait toujours aussi musclé, parfait, comme tout le reste de Casey. Elle chassa ses idées qui la troublaient bien trop d’une gorgée de son verre.

La gêne était évidente. Elle fit craquer les ossatures de ses doigts, remettait sans cesse ses cheveux en place, et se rongeait les ongles ; autant de signes révélateurs de son émotion. Voir Caz’ revenait à la mettre à nu, à la désarmer entièrement, à titiller son talon d’Achille. La jeune femme se sentait sur le point de défaillir, ou plutôt de vomir, tellement son estomac jouait aux montagnes russes. Une vraie torture.

« Charly m’a demandé de venir après mon dernier cours, alors je suis venu. » expliqua-t-il alors.

Au nom de Charly, Joyce tiqua. Evidemment qu’il n’était pas venu pour elle. Il était passé dire bonjour à son amie, et si elle n’était pas arrivée par hasard, il n’aurait pas cherché à la joindre. Elle se réprimanda intérieurement : attendre quelque chose de Casey n’était qu’une source de déception, il faudrait qu’un jour elle le réalise.

« Oh » lâcha-t-elle dans un souffle. « D’accord. »

L’institutrice se promit d’avoir une discussion avec sa meilleure amie. Celle-ci savait pertinemment que Joyce ne voulait pas voir Casey. Ou du moins, pas sans avoir été prévenue au préalable et sans personne pour la soutenir dans l’épreuve ! Tout comme elle était consciente qu’un jeudi soir, elle ne rentrerait sans doute pas sans un petit tour au Bones. En clair, il s’agissait soit d’une maladresse inconsciente, soit d’un coup monté. Et dans les deux cas, ça risquait de chauffer pour la demoiselle Evans.

« Et si tu es venue pour la voir, tu viens juste de la rater, elle a du partir pour une urgence. »

Une urgence. Evidemment. L’idée que cela puisse être vrai ne l’effleura même pas, tant son esprit était concentré sur comment elle pourrait faire payer ce coup bas à sa meilleure amie. Certes elle se devrait, un jour ou l’autre, d’avoir une conversation sérieuse avec Casey, mais pas ici, pas comme ça. Il lui faudrait du temps, ne serait-ce que pour mettre de l’ordre dans ses idées. Pour être au clair avec elle-même et ne pas s’embrouiller face à Caz.

« On n’est donc plus qu’à deux. Je t’offre un verre ? »

Etait-ce franchement une bonne idée ? Ils n’avaient pas passé plus de cinq minutes seul à seule depuis quasiment deux ans. Son cœur lui disait d’accepter, elle qui rêvait de retrouver son Caz à elle, ne serait-ce que l’espace d’une soirée, mais sa raison, elle, lui criait de refuser. Ce serait encore plus douloureux, après coup. Regoûter à la compagnie de Casey, réentendre son rire, le sentir tout près et s’enivrer de lui, de son parfum à nouveau ne rendrait la chute que plus terrible, une fois qu’il se serait enfui à nouveau se terrer dans son appartement.

« Enfin je veux dire … après celui-là. »

La jeune femme ne pu retenir un sourire, à sa remarque, qui éclaira son visage. Il était toujours aussi mignon, craquant, et adorable. C’en était indécent !
Malgré tout, elle répondit en tâtant le terrain. Elle restait sur ses gardes.

« Je ne voudrais pas te déranger. Je sais que tu as beaucoup à faire. Enfin, c’est ce qu’on m’a dit, puisque toi, je n’ai pas vraiment eu l’honneur de te parler depuis… Depuis la mort de Lynn, en fait. »

Bon, ok, ça n’était pas très délicat. Elle avait cruellement manqué de tact, elle qui d’ordinaire était la douceur incarnée. Elle ne voulait pas blesser Casey ou même le faire souffrir pour se venger de tout ce qui s’était passé. Ce n’était pas son genre, seulement ses mots avaient dépassé sa pensée. Elle baissa la tête, honteuse.

« Excuse-moi. Je ne voulais pas dire ça. »

Elle entendait d’ici Noam la sermonner : « Mais pourquoi tu t’es excusée ? Il le mérite, Joyce ! »
Mais le cœur a ses raisons que la raison ignore, n’est-ce pas ? Elle aurait beau faire tous les efforts du monde, un mot de Casey et toute sa rancœur serait oubliée, elle en était persuadée.