▬ N. Blake R. & Courtney M.

En cette saison, l’air glacial venait s’abattre sur Hope Mills. Ça serait mon premier hiver dans cette ville. Je devais admettre qu’en soi, cette ville n’avait rien de particulier ou de repoussant. Je devais simplement me faire à l’idée que j’ai de la famille dans ses rues. Tenais-je à faire leur connaissance ? Pas exactement. On partageait un lien sanguin indéniable mais ça ne faisait pas pour autant d’eux ma famille. Lorsque je pense à ceux qui m’ont tant apporté enfant, mon cœur se serre à chaque. Car même s’il m’est difficile de l’admettre, je les aimais. Les Rivers.

Le concert au Catalyst s’était produit sans trop de dégâts. Visiblement la garde à vue d’Austin n’avait absolument rien arrangé. Il est toujours en colère. Non. Il était carrément furieux. Que j’ai défendu Regan. Et même pire, que je sois reparti avec elle. Cette histoire a beau remonter à plusieurs semaines, il est clair que ça lui reste en travers de la gorge. Une lèvre fendue et une pommette gonflée, voilà ce que j’avais gagné à cette soirée. Dans un sens, ça m’aurait plus de m’en abstenir mais bon. Avais-je le choix ? Oui, j’aurais pu partir. Quitter la ville. Sauf que je ne le voulais pas. Car laisser Austin sans surveillance était un choix risqué. Qui oserait la confrontation avec ce crétin fini ?!

Toujours est-il que j’étais en trains d’empiler des affaires, trainant dans la voiture, dans un carton. Mes rares effets personnels. C’est ainsi que j’y pense. Je n’ai presque pas de vie. J’ai un passé secret et mystérieux. Et je voudrais qu’il reste où il est. Sauf que Regan a fait irruption dans ma vie et il m’est difficile de ne plus penser à elle désormais. A cette seconde précise, je peux tout à fait imaginer sa réaction en me voyant réunir mes quelques effets qui viendront s’ajouter dans mon appartement. J’aurais tout aussi pu me contenter d’un lit de camp. Mais finalement, j’avais opté pour un appartement. Je me créais un port d’attache et c’était loin de me ressembler. Mon paquet sous le bras, je rejoignis le trottoir d’en face. Poussant la porte de l’immeuble, j’entendais déjà au rez de chaussé le bruit d’une télévision. Ma guitare fermement accroché dans mon dos, comme à son habitude, je jetais un regard du côté de l’ascenseur. Sur la cage d’escalier je pouvais déjà lire « Hors service ». Je soupirais alors, songeant aux escaliers qui m’attendaient. La montée était plutôt raide et je marquais une pause à la première plateforme lorsqu’un bruit de pas venant de la partie supérieure m’interpella. Je levais machinalement les yeux. Je devais dire que je n’imaginais pas que mon passé pouvait venir se mêler à mon présent. Et quel passé ! J’ouvris un instant la bouche, prêt à dire quelque chose avant de la refermer. Mon regard rivé à cette jeune femme aux boucles brunes, il n’en existait pas des masses. Tout comme sa tenue vestimentaire. Son regard farouche et meurtrie, sa très fine silhouette et ses yeux clairs comme de l’eau de roche aurait mis en émoi plus d’un homme. Or, entre elle et moi, la relation que nous avions noués se rapprochait plutôt de celle d’un frère et d’une sœur. Et ce, malgré tous les évènements dramatico-tragique que l’on ait pu vivre. Je resserrais mon carton sous mon bras pour le relever tandis que j’hésitais à engager la conversation, en plein milieu des escaliers.

« - Si je m’attendais à te voir ici ! » déclarais-je finalement avec maladresse. Car elle me connaissait et savais que par ces propos, je ne cherchais ni à la blesser, ni à la provoquer. Je lui faisais simplement part de mon étonnement. Ce qui, il fallait dire

M’installer dans cette ville était certainement une folie. Tout était réuni pour me détruire. Une famille qui m’avait abandonné à la naissance. La souffrance de lire dans ses regards l’amertume de ma décision de refuser de connaître ses personnes. Personne ici ne pouvait comprendre ce que j’avais enduré. Je n’avais pas de frère, ni de sœur. Mes parents - les Rivers – ceux que je considérais comme tel, avait disparu que je n’étais encore qu’un môme. Bien sûr, je ne pouvais rien leur reprocher. Car je sais qu’il ne m’aurait jamais abandonné volontairement. Mais cette famille biologique… qu’est-ce qu’elle m’apporterait ? Des désillusions ? Encore plus de mensonge ? Alors non, je n’en voulais pas. Je ne voulais rien d’eux, si ça n’est qu’ils m’oublient jusqu’à la fin de leur jours. Ils me devaient bien ça. Une telle décision avait forcément des conséquences. Or, dans cette ville, je peux compter mes connaissances sur les doigts d’une main. Moi, l’éternel solitaire, je m’étonne encore de tenir ses clés dans ma main. Depuis quand me suis-je sociabilisé ? Me poser. Avoir un endroit à moi. Envisager de rester plus de quelques semaines dans une même ville ne m’a jamais ressemblé. Pour être honnête, la vie de baroudeur me plait. Car je n’ai pas le temps de m’attacher aux personnes que je rencontre. Pas d’attaches. C’est exactement ce qui me décrit le mieux. Je suis libre comme le vent. Etait libre comme le vent. Depuis ma dernière bagarre avec Austin, la donne a légèrement changé. J’dois admettre qu’il attend l’occasion pour me régler mon compte. Sauf que ça n’est pas près d’arriver, surtout si les flics l’ont dans le collimateur.

Bien malgré moi, je tente de ne pas trop penser à Regan et Heaven. Après tout, je les connais à peine. Il m’est encore temps de quitter cette ville sur le champ pour parvenir à taire ses voix et les sentiments qui me troublent lorsque je pense à elles. Il n’y aurait que Regan, je crois que je pourrais m’en sortir mais la présence et la bravoure de la petite aux boucles blondes ne sont pas sans me rappeler Regan. En soit, je ne sais pas grand-chose de leurs vies, hormis leur liens avec Austin. Sauf que la détresse de Regan m’a rappeler la mienne, résonnant en écho dans mon cœur. Cette même souffrance d’avoir été sur le point de perdre quelqu’un d’inestimable. A la différence près que moi, je les ais perdus. Deux fois. Alors non, je ne peux pas partir. Encore moins en sachant qu’Austin rôde toujours dans les parages et qu’il serait capable du pire. C’est ce qui m’a convaincu de prendre cet appartement. A défaut de trouver ma place dans cette ville, je pourrais toujours empêcher Austin de réaliser l’un de ses plans foireux, ayant pour but de saccager la vie des Bishop.

C’est comme ça, que je me retrouvais dans la cage d’escalier avec mes rares effets personnels à monter dans cet appartement. Ma guitare dans le dos et un carton de bric à brac. Pour faire simple, c’était toute ma vie. Quelques photos jetées pêle-mêle dans ce carton, des babioles gagnées au court d’une fête, un médiator gagné au court d’une soirée dans un piano bar et des numéros de filles. Ça je pouvais affirmer que j’en avais une jolie petite collection. Et puis, il y avait ce petit coffre. Un objet qui me rappelait le passé. Où j’avais vécu et avec qui. Un passé que je ne pourrais jamais fuir, car chaque nuit il est là pour me rappeler que je suis encore en vie. Que je n’étais pas destiné à mourir lors de ce combat. Chaque marche que je gravis me rappelle combien ses deux personnes me manquent. Déjà à l’époque, je n’étais guère loquace mais aujourd’hui, je crois que c’est devenu pire. Car j’aurais dû empêcher Boone de se faire tuer.

Chassant ses images de mon esprit, je poursuis mon chemin lorsqu’un regard accroche le mien. Je dois rêver. L’image de Court’ se dessine sous mes yeux et j’en manque plusieurs respirations. C’était forcément un effet de mon imagination. Que viendrait-elle faire dans cette ville ? Pourquoi n’est-elle pas à Charlotte ou Raleigh ? Sauf qu’à son regard, je réalise qu’elle semble tout aussi surprise que moi. Voir même paniqué à l’idée de me croiser. Pourtant, j’en viens à articuler quelques mots. Planté au milieu des escaliers j’aurais pu l’empêcher de fuir mais à quoi bon ? Il s’agit de sa vie, de ses choix. Je n’y ai surement pas ma place et encore moins le droit de critiquer ce qu’elle croit juste ou non. Nos routes se sont séparé et je dois me faire à l’idée que peut être rien, ni jamais, nous ne retrouverons notre amitié.

Pourtant, elle fait machine arrière et se porte volontaire pour m’aider. Est-ce sage ? Vraiment pas. Si je lui laissais porter ce carton, elle verrait la boite. Pourtant j’hésitais. Car j’avais là, l’occasion unique d’entamer une conversation avec elle. Je tentais un vague sourire qui ressemblait bien plus à une grimace avant de délaisser le carton dans ses bras.

« - C’est si gentiment proposé. » lançais-je alors avant de lui désigner les escaliers du menton. « Je suis au 2ème. » renseignais-je du bout des lèvres. Je ne savais pas par où commencer. Ni quoi lui dire. Ça faisait pourtant des années qu’on ne s’étaient pas vu et la tension que je devinais dans ses épaules était évidente. Je secouais la tête tout en la suivant alors que nous arrivions sur le palier. Bien vite, je fis glisser ma clé dans la serrure.

« - Tu veux entrer ? » demandais je en récupérant le carton qu’elle tenait toujours. « c’est pas le grand luxe… mais c’est toujours mieux que… enfin tu sais. » achevais-je prêt à me jeter la tête contre les murs, devant mes propos parfois si maladroit.

Par le passé les désaccords, nous avait liés. Elle voulait toujours en savoir plus. Percer les mystères, tandis que de mon côté, je tentais en vain de la retenir. Car ça la menait inévitablement, au-devant de gros ennuis. Etait-elle inconsciente ? Je ne nommerais pas la chose ainsi. Si de mon côté, j’ai toujours tenté de me faire oublier de la communauté, il semblerait que la jeune Miller par ses actes, cette éternelle curiosité et maladresse, finissait toujours par faire parler d’elle. Je ne lui en tiens pas rigueur. Tout comme je ne lui reproche absolument rien. Car s’il existait un seul coupable à tout ce qui nous est arrivé, c’est bien moi. Alors je serais vraiment de mauvais foies de lui reproché tous les évènements qui ont suivis la mort de Boone. Car elle comptait pour moi. Comme bien peu de personne et la distance que j’ai instaurée n’avait pour but que de la protéger. Car tous ceux qui ont fait partie intégrante de ma vie, ont fini par le payer de leur vie. Etait-ce égoïste de ma part de l’évincer, pour lui permettre de vivre plus longtemps ? Je doutais qu’elle comprendrait cette attitude de ma part. Et ce, malgré qu’elle connaissait une partie du secret de mon existence.

Je l’invitais à passer un moment avec moi dans cet appartement. Je vis son regard attiré par les objets jeté pêle-mêle dans ce carton. Je sus instantanément ce qui se déroulait dans son esprit. L’histoire de cette boite. Toute ma vie. Une amitié. Une fratrie. Je croisais alors son regard, qui me fis repartir dans le passé.


Flashback

quelques années plus tôt,

« avoue le Court’ ! T’en a qu’après cette boite ! » M’emportais-je avec une hargne visible au fond des yeux.

« - Blake ! » soupire Boone, agacé, qu’une fois de plus il s’en prenne encore à elle.

« - Quoi ?! c’est la vérité ! Dis le lui, Court’ ! »

« - Je… » Hésite-t-elle. « J’vois pas pourquoi tu gardes ça secret. J’veux juste comprendre- »

« - Est-ce que j’viens te demander pourquoi ta mère t’a abandonné ? Non ! Alors fiche moi la paix et oublie cette boite. »

A l’époque, elle n’avait pas compris pourquoi je m’étais emporté. On n’était que des gosses. On ignorait encore combien les mots pouvaient faire mal. Combien la vie était cruelle. Et malgré la brute pour laquelle j’apparaissais au sein du foyer, je n’avais jamais levé la main sur quelqu’un de mon plein gré. C’était toujours en cas extrême, que j’usais de ma force. Ce soir-là, j’avais pratiquement vu Courtney se liquéfier et j’en avais été malade pendant des jours avant d’aller m’excuser. Et dieu sait que Blake Rivers ne s’excuse jamais.

Flashback


Avec le temps nous avions oublié cette boite et même si parfois, je savais qu’elle y songeait. Jamais plus elle n’y fit référence. Elle m’acceptait comme j’étais et je faisais de même. Nous étions même arrivés à nous rapprocher au fil des années. Chacun apportait sa pierre à l’édifice de l’autre. Je me rappelle encore nos fous rires au réfectoire ou encore nos longues soirées, où elle restait près de moi à m’écouter jouer de la musique.

Revenant à moi, je baissais mon regard dans le sien. Un très lent et timide sourire au coin des lèvres.

« - Jamais, je n’aurais levé la main sur toi. » fis-je, calmement. Les années avaient passé et bien que j’aie mûri, je pouvais encore me mettre en colère en un temps record. Il suffisait d’évoquer Noam, cette famille biologique ou encore Austin. Bien des sujets que je préférais éviter en présence de Courtney. « Cette boite… c’est tout ce qui me reste de mes parents. Les seuls à avoir aimé le petit garçon que j’étais. A m’avoir accepté. » Lui confiais je, embarrassé. « Et puis, c’est pas comme si Boone n’avait jamais pris ta sécurité très à cœur. Il me manque, tu sais… »

Peut-être fallait-il que ça sorte. Je n’en sais rien. Je n’avais pas le souvenir de m’être autant confié à elle. Aujourd’hui j’apparaissais comme un type sombre, mystérieux et sûr de lui. Mais comme tout le monde j’avais mes coups de cafards. Et ça n’était jamais bon d’être dans les alentours, lorsque ça se produisait. Je soupirais doucement tout en récupérant le carton et sortant une photo de mon meilleur ami. « Si j’avais pu empêcher… le sauver… j’aurais donné ma vie pour que vous puissiez être ensemble. » déglutis-je avant de me pincer les lèvres. Cette photo de nous trois entre mes mains, je me reprochais sa mort, jusqu’à la fin de mes jours. Et pourtant, je devrais encore apprendre à vivre avec cette culpabilité au fond de mon cœur. Car rien ne pourrait ramener Boone. Bien que ce soit l’un de mes souhaits les plus chers.